Le gouvernement légitime
les dépassements d’honoraires
Un décret taxe encore une fois les assurés et les
complémentaires santé sans apporter de réponse aux réelles questions d’accès
aux soins.
Un nouveau
décret stipule que pour bénéficier des aides fiscales et sociales afférentes
aux contrats «responsables », les contrats d’assurance maladie complémentaire
doivent prendre en charge l’intégralité de certains dépassements d’honoraires
encadrés. Il s’agit des médecins exerçant à titre libéral une spécialité
chirurgicale, obstétricale ou d’anesthésie-réanimation. Ces médecins ayant opté
pour l’option de coordination prévue par la convention nationale des médecins
généralistes et spécialistes conclue le 26 juillet 2011, précisée par l’arrêté
du 21 mars 2012 qui a porté à 150 % du tarif opposable de sécurité
sociale le montant des dépassements autorisés pour ces trois spécialités.
C’est ce
qu’il faut retenir du décret 2012-386 du 21 mars 2012 relatif au contenu des
contrats d’assurance maladie complémentaire bénéficiant d’aides fiscales et
sociales est paru au journal officiel le 22 mars 2012.
Les
retraités sont particulièrement concernés par les conséquences de ce décret.
Michel Devacht,
Secrétaire général
Secrétaire général
De quoi s’agit-il ?
Sont concernés les dépassements pratiqués par des
médecins spécialistes de bloc opératoire (chirurgiens, anesthésistes,
obstétriciens) qui sont actuellement en « secteur 2 ». Ce sont ceux qui ont
choisi ce secteur pour demander plus à leurs patients que le tarif remboursé
par l'assurance maladie, contrairement à leurs confrères, les plus nombreux,
exerçant en « secteur 1 ».
S’ils le souhaitent, ces praticiens vont pouvoir opter
pour un nouveau secteur, que l'on appelait jusqu'ici « secteur optionnel », et
désormais désigné « option de coordination élargie ». S'ils limitent leurs
dépassements à 50% du tarif Sécu pour 70% de leurs actes techniques,
l'assurance maladie prendra en charge leurs cotisations sociales (santé,
retraite, etc.) sur les 30% des actes qu'ils devront effectuer au tarif
opposable, le tarif Sécu.
Ainsi, ces médecins sauront que leurs dépassements
plafonnés seront systématiquement remboursés par les complémentaires santé de
leurs patients.
Quel est l’avis des instances de l’assurance maladie ?
Le conseil de la Cnam est consulté sur tout projet de
loi ou décret ayant un impact sur l’Assurance maladie. Il est composé de
représentants d'assurés sociaux, d'employeurs, de mutuelles et d'institutions
intervenant dans le domaine de l’assurance maladie.
Le conseil du 29 février 2012 avait émis un avis
défavorable par 18 voix contre (CGT, CFDT, FO, CFTC, FNMF, M. Joliclerc, Unaf,
CISS, Fnath), 3 voix pour (UPA) et 13 prises d’acte (Medef, M. Chadelat, CGC).
Le conseil de l’Union nationale des caisses d’assurance
maladie (Uncam), également sollicité, a émis un avis défavorable par 8 voix
contre (CCMSA, CGT, CFDT, FO, CFTC), 4 voix pour (RSI, UPA) et 6 prises d’acte
(Medef, CGPME, CGC).
Malgré les désaccords largement exprimés, le
gouvernement a passé outre en publiant le décret.
Quelle est la position de la CFDT ?
Lors de la consultation, la CFDT a exprimé les raisons
de son désaccord avec cette mesure.
Le projet traduit la volonté du gouvernement de mettre
en place la prise en charge de dépassements autorisés. Il s’agit d’imposer un
secteur optionnel alors que la négociation n’a pas abouti sur la limitation des
honoraires abusifs.
Cette « option relookée » du secteur optionnel, a
vocation à « solvabiliser les dépassements ». La charge de ce financement incombera aux malades sans couverture
complémentaire et aux organismes complémentaires, c'est-à-dire aux retraités,
salariés et aux entreprises. Ce qui induit l’augmentation des cotisations.
Pour la CFDT, sur le fond, se trouve toujours posée une
question fondamentale : la liberté
d’honoraires des médecins est-elle compatible avec l’égal accès aux soins ?
Le dispositif proposé aujourd’hui améliore-t-il vraiment l’accès aux soins de
nos concitoyens ?
Pour la CFDT, un dispositif efficient doit prendre en
compte la modification des conventionnements, les mesures à prendre pour
réduire les dépassements en secteur 2.
La Caisse nationale a visé 250 médecins qui font fi du
« tact et mesure ». Mais les abus sont bien plus nombreux !
Et la qualité
des soins ? Aujourd’hui, personne n’est en mesure d’établir une corrélation
entre le niveau, la fréquence des dépassements d’honoraire et la pertinence ou
la qualité des actes dispensés. A l’heure où tous les efforts de l’Assurance
maladie consistent à rémunérer la qualité sur des critères objectifs, ce
dispositif pose question.
D’autres voies sont possibles aujourd’hui !
Une partie des dépassements s’explique, et c’est
l’argument de nombre de médecins, par la faiblesse de certains tarifs servant
de base au remboursement. Il est donc temps de retravailler sur le prix de
revient réel de chaque acte médical, quitte à considérer qu’un correctif peut
exister pour tenir compte, par exemple, des écarts de coûts immobiliers. Sur la
base de ce prix une négociation tripartite pourrait être organisée entre les
médecins, la sécurité sociale et les assureurs complémentaires afin de
déterminer les modalités de répartition du remboursement aux patients sur la
base d’un « tarif opposable partagé ».
Une action pourrait alors être conduite sur le secteur
à honoraires libres. L’accès aux soins au juste prix de nos concitoyens s’en
trouverait ainsi notablement amélioré.
Ce décret ne fait que conforter la liberté tarifaire
car il ne porte pas sur l’encadrement des dépassements dans le secteur 2.
Marie-Solange Petit
Lexique
CCMSA = Caisse centrale de la Mutualité Sociale
Agricole.
CISS = Collectif inter associatif sur la santé
Fnath = Fédération des accidentés de la vie.
FNMF = Fédération nationale de la mutualité
française
RSI = Régime social des indépendants
Unaf = Union nationale des associations familiales
Annexe
Déclaration des organisations syndicales et de la
Mutualité Française
Dans une déclaration commune, les organisations
syndicales de salariés, CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, Force ouvrière, FSU, Unsa et
la Mutualité Française dénoncent cette dégradation générale et continue de
l’accès aux soins. Extraits.
A l’heure où les dépassements d'honoraires médicaux
représentent un coût de 2,5 milliards d'euros, soit un doublement en euros
constants en vingt ans et où le renoncement aux soins concerne plus de 20% de
nos concitoyens, le gouvernement a clairement fait le choix de légitimer la
logique inflationniste des dépassements d’honoraires. (…)
Par ailleurs, en obligeant les organismes
complémentaires à prendre en charge les dépassements d'honoraires le
gouvernement aggrave les inégalités d’accès aux soins et fragilise à nouveau
notre système de santé :
-
en renchérissant le montant des cotisations des
complémentaires ;
-
en pénalisant davantage les personnes n’en
bénéficiant pas.
Il est donc nécessaire, dans ce contexte,
de privilégier :
-
un strict encadrement des dépassements
d’honoraires comme première mesure d’urgence pour aller vers une réelle
opposabilité des tarifs pratiqués par les professionnels de santé ;
-
l’ouverture immédiate de négociations avec
l’ensemble des acteurs concernés pour fixer une juste rémunération des actes
médicaux, condition à cette opposabilité afin de répondre avant tout à
l’intérêt des patients.
Devant l’accroissement des difficultés d’accès aux
soins, les organisations syndicales de salariés, CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT,
Force ouvrière, FSU, Unsa et la Mutualité Française souhaitent agir pour la
mise en œuvre de solutions conformes aux valeurs de solidarité et
d’universalité de notre système de sécurité sociale et plus largement de
protection sociale et appellent les candidats à la présidentielle à placer la
santé et la sécurité sociale au cœur du débat public.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire