Cette note reprend, sans aller
dans le détail, les principales prises de position de la CFDT en matière de
réformes successives des régimes de retraites en France entre 2003 (première
réforme FILLON) et 2013, en distinguant les régimes de base et les régimes
complémentaires de salariés.
Par ailleurs la CFDT préconise
depuis plusieurs années une réforme systémique des retraites, par opposition à
une réforme paramétrique. Les éléments majeurs de ce projet ambitieux sont
repris en deuxième partie de ce document.
PARTIE 1 : la CFDT et les
réformes des retraites depuis 2003
A-
Les régimes
de base
La CFDT a émis un avis favorable
au relevé de décisions de la réforme des retraites en mai 2003 (le détail des décisions est en
annexe 1). Il s’agit d’une réforme importante car globale (elle concerne le
privé et le public les salariés et non salariés) qui introduit le principe d’un
ajustement automatique des paramètres de calcul des retraites en fonction de l’espérance
de vie. La réforme introduit un pilotage du système avec des rendez-vous tous
les cinq ans et elle a créé des mesures pour une meilleure information des
cotisants (droit à l’information retraite). La réforme a également ouvert le
droit à un départ anticipé (avant 60ans) pour les longues carrières. La CFDT a
fortement soutenu cette disposition.
Pour la réforme
initiée en 2008 la CFDT a marqué des désaccords majeurs sur deux points :
-
Le gouvernement confirme le passage à 41 annuités au 1er janvier 2012, sans
tenir compte du taux d’emploi des seniors. Pour la CFDT, cette décision sera
injuste vis-à-vis des salariés exclus de l’emploi précocement, et en même temps
inefficace sur l’équilibre financier des régimes de retraite.
-
Le gouvernement ne propose rien pour revaloriser les retraites en faisant
remonter leur niveau par rapport au salaire, afin de mettre un coup d’arrêt à
une dégradation continue.
La CFDT a déploré de nombreux
« oublis » par un gouvernement qui a fait l’impasse sur :
- la situation des polypensionnés pénalisés dans le calcul de leur retraite,
- le sort des salariés aux carrières accidentées,
- le financement nécessaire du Fonds de réserve des retraites,
- l’amélioration du régime additionnel de la Fonction publique.
- la situation des polypensionnés pénalisés dans le calcul de leur retraite,
- le sort des salariés aux carrières accidentées,
- le financement nécessaire du Fonds de réserve des retraites,
- l’amélioration du régime additionnel de la Fonction publique.
La CFDT a précisément interpellé le gouvernement sur
la question des pénibilités. Le ministre des Affaires Sociales lui a répondu
que, faute d’accord entre partenaires sociaux, il interviendrait en demandant aux entreprises de prendre en charge une partie
du financement d’un dispositif destiné aux salariés exposés à la pénibilité.
La CFDT a néanmoins relevé des
avancées : elle
est satisfaite de la reconduction du dispositif des « carrières
longues » qu’elle avait obtenu en 2003, ainsi que de l’amélioration de la
surcote (taux à 5 %) et de son élargissement (carrières longues et minimum
contributif).
De même, l’amélioration du financement des régimes par
le transfert, à terme, d’une part de la cotisation chômage est une bonne chose.
Deux
journées d’action intersyndicales ont eu lieu le 22 mai puis le 17 juin 2008.
La mobilisation obtenue et les sondages d’opinion ont amené le gouvernement à
maintenir sa volonté d’allonger la durée de cotisation pour tous.
La CFDT reste cohérente avec les
positions adoptées à son congrès confédéral de Tours : dénonciation de la
réforme proposée par le gouvernement, actions et propositions sur les
inégalités générées par notre système de retraite et amplifiées par le projet
de loi, proposition d’une réforme alternative.
Pour ce qui concerne la nouvelle réforme initiée par le Gouvernement
FILLON en 2010, la CFDT a pris des positions nuancées selon les principales
dispositions proposées :
-
Débat de société sur une réforme des retraites
plutôt que mise en place d’un comité de pilotage des régimes de retraites
-
Accord sur le développement du droit à
l’information retraite (entretien de bilan carrière à 45 ans)
-
Désaccord
sur le recul de l’âge légal de départ porté à 62 ans pour les générations 1951
à 1956, entre le 1er juillet 2011 et le 1er janvier 2016. L’âge du taux plein
est augmenté en parallèle de l’âge légal, avec un passage de 65 ans à 67 ans et
une date d’effet comprise entre 2016 et 2021.
Pour la
CFDT, le recul de l’âge légal de départ est une mesure injuste, inefficace à
terme, et limite les possibilités de choix individuels des salariés.
Caractère trop limité des mesures
en faveur d’un départ anticipé pour pénibilité du travail
B-
Les régimes
complémentaires
La réforme de 2003 dans les régimes complémentaires, soutien de la CFDT
Le coût de la retraite avant 60 ans est évalué à
7 milliards d’euros cumulés sur cinq ans pour le régime général et à 4,2
milliards d’euros pour les régimes Arrco et Agirc. Ce qui donne 11,2 milliards
d’euros pour l’ensemble et sur cinq ans.
L’accord de novembre 2003 figure en annexe 2.
Accord de la CFDT lors
des négociations de mars 2009
Le patronat avait pour objectif de prendre des
mesures conduisant au décalage progressif de l’âge de départ en retraite, ceci
indépendamment de la réglementation des autres régimes de retraites et
notamment du régime général.
Cette proposition a été d’emblée et sans
ambiguïté rejetée par la CFDT pour plusieurs raisons :
Ce n’est pas aux régimes complémentaires de définir les conditions d’accès à la retraite en matière de durée de cotisation ou d’âge de départ. Une action sur ces paramètres ne peut donc être décidée que par les pouvoirs publics à l’occasion d’une réforme de l’ensemble des régimes.
La CFDT a fait le choix, lors de ses congrès, de prioriser le paramètre de la durée de cotisation pour répondre aux conséquences de l’évolution démographique sur les régimes de retraites plutôt que celui de décaler l’âge de départ. La CFDT considère cette solution plus équitable que la seconde qui pénalise ceux qui ont des carrières longues.
Ce n’est pas aux régimes complémentaires de définir les conditions d’accès à la retraite en matière de durée de cotisation ou d’âge de départ. Une action sur ces paramètres ne peut donc être décidée que par les pouvoirs publics à l’occasion d’une réforme de l’ensemble des régimes.
La CFDT a fait le choix, lors de ses congrès, de prioriser le paramètre de la durée de cotisation pour répondre aux conséquences de l’évolution démographique sur les régimes de retraites plutôt que celui de décaler l’âge de départ. La CFDT considère cette solution plus équitable que la seconde qui pénalise ceux qui ont des carrières longues.
La CFDT est intervenue pour expliquer que, dans
la situation actuelle, la meilleure solution serait de prolonger l’accord
actuel de deux ans, en préconisant d’user très prudemment des réserves pour
passer la période difficile actuelle et se donner le temps de mener une
réflexion en profondeur sur les différents paramètres.
Analyse
CFDT de l’accord
On ne peut pas qualifier ce projet d’accord de
très ambitieux, notamment au regard des problèmes qui sont posés aux régimes.
Mais la conjoncture actuelle et les incertitudes sur l’ampleur et la durée de
la crise imposent une certaine prudence.
Le délai que donne ce projet d’accord permet de
préparer l’avenir et donc les mesures qu’il faudra prendre, tout en sécurisant
les retraites des salariés qui vont liquider leur pension dans les prochains
mois avec la prolongation de l’AGFF. La CFDT a donc une appréciation où le
positif l’emporte tout en étant consciente des limites de ce projet d’accord.
Certaines organisations syndicales étaient prêtes
à prendre le risque d’une rupture de l’AGFF en disant que les pouvoirs publics
prendraient alors le relais... Cette attitude était dangereuse car, si
effectivement le gouvernement aurait suppléé à la carence des partenaires
sociaux, les risques étaient multiples :
-
une période de vide juridique
avec de possibles ruptures sur la continuité des prestations et/ou des
cotisations,
-
une porte ouverte à une
récupération des régimes de retraites complémentaires (et de ses réserves) par
les pouvoirs publics,
-
un risque d’accentuer le doute
des salariés sur les capacités des organisations syndicales de construire du
droit.
La réforme de 2013
soutenue par la CFDT
Le bureau national de la CFDT a décidé à
l’unanimité de la signature du projet d’accord sur les régimes de retraite
complémentaire. La CFDT a considéré qu’il s’agit d’un accord nécessaire qui
donne une bouffée d’oxygène à ces régimes de retraite. Il consolidera
financièrement l’Arrco et l’Agirc, très malmenés par la crise économique. La
question de leur financement à moyen terme n’est cependant pas totalement
réglée, en particulier pour l’Agirc.
Le projet d’accord partage les efforts entre les
actifs, les retraités et les entreprises. Il prévoit une revalorisation des
pensions inférieure à l’inflation pendant une durée de trois ans, ainsi qu’une
augmentation du taux de cotisation de 0,2%.
Au cours de la négociation, la CFDT a pesé pour
que le texte allie davantage les exigences de responsabilité et de solidarité,
afin d’obtenir une meilleure protection des basses pensions. La CFDT s’est
félicitée de la revalorisation des pensions en fonction de l’inflation au
régime général, qui constitue l’essentiel de la retraite pour les plus
modestes.
Le texte maintient les acquis de l’accord de
2011, en particulier la stabilité du rendement pour les actifs jusqu’en 2015 et
le maintien jusqu’en 2018 des possibilités de départ sans décote avant 65 ans.
Enfin l’accord inscrit les régimes
complémentaires dans la perspective d’une réforme plus large du système de
retraite. Les évolutions en profondeur de nos régimes feront partie des thèmes
majeurs de la prochaine concertation sur les retraites.
Source : Communiqué de presse de la CFDT
du 21 mars 2013.
Plus généralement la CFDT a observé que les modifications successives
des principaux paramètres des régimes de retraite jettent un doute sur l’avenir
du système. Dans le cadre de la concertation sur les retraites annoncée par le
gouvernement, la CFDT considère qu’une remise à plat de l’ensemble de notre
système de retraite et une réforme de grande ampleur sont nécessaires, afin de
restaurer la confiance en la répartition, notamment auprès des plus jeunes
générations.
PARTIE 2 : la CFDT
pour une réforme systémique des régimes de retraite en France
En juin 2010 le Congrès de la
CFDT à Tours a débouché sur une résolution adoptée à 77 % qui évoquait un
régime de retraite unifié et solidaire.
La revue de la CFDT a consacré en
2013 un numéro spécial à une réforme systémique des retraites. Est repris en
annexe 2 l’intégralité de l’article consacré par J.L. MALYS à cette réforme.
L’éditorial de ce numéro spécial
de la revue de la CFDT précisait notamment que :
« Le
système de retraites représente un enjeu pour notre société car il est un
élément fondamental de notre pacte social. Construit autour du modèle des
carrières linéaires des Trente Glorieuses, il s’avère de plus en plus inadapté
aux parcours professionnels, aux parcours de vie et aux aspirations des
salariés d’aujourd’hui.
Les
évolutions du modèle actuel sont parfois même devenues un facteur de creusement
des inégalités. Il importe donc d’envisager une réforme systémique. L’ouverture
d’un débat public, à compter du premier semestre 2013, sur une réforme plus
globale constitue une forme d’aveu: la loi votée en 2010
n’apporte
pas de réponse pour garantir le système de retraite sur le long terme. Ce
débat, que la CFDT a voulu et obtenu par la mobilisation, permettra de
reprendre le travail de reconstruction amorcé par la loi de 2003. »
Annexe 1
1 il est confirmé que le champ d’application de cette réforme concerne les
salariés du secteur privé, les fonctionnaires, les travailleurs indépendants du
commerce, de l’artisanat, de l’agriculture et des professions libérales
2 en 2008,
aucune retraite nette d’un salarié ayant une carrière complète ne sera
inférieure à 85 % du SMIC net. Pour garantir cet objectif, le minimum
contributif sera revalorisé, pour 40 années cotisées sur la base suivante
janvier 2004
: 3 %
janvier 2006
: 3 %
janvier 2008
: 3 %
Cet objectif
sera réexaminé dans cinq ans, en tenant compte des perspectives financières des
régimes
d’assurance vieillesse
3 pour les
salariés et les non salariés des régimes alignés qui ont commencé à travailler
très
jeunes
(entre 14 et 16 ans), un droit au départ anticipé à la retraite sera ouvert à
compter du 1
er janvier 2004
Ce
dispositif sera revu en 2008
Afin de
cerner le problème dans les fonctions publiques, un groupe de travail sur le
même thème sera mis en place.
4. à compter
du 1er janvier 2006, la cotisation vieillesse du régime général est majorée de
0,2
point ;
5. le
financement de la réforme des retraites doit être progressif, équitable et
faire appel à des efforts partagés. Il doit être réexaminé notamment à
l’occasion des rendez- vous quinquennaux. A l’occasion du premier rendez vous
de 2008, seront réexaminés tous les paramètres de financement , dont notamment
les prélèvements obligatoires pouvant être affectés au financement (cotisation,
CSG, ...)
6. les
partenaires sociaux seront incités par la loi à conclure d’ici trois ans une
négociation sur la définition et la prise en compte de la pénibilité dans la
fonction publique, le Gouvernement
engagera un
réexamen de la situation des emplois correspondant à des métiers pénibles
7.
l’évolution des pensions de retraite du secteur privé et du secteur public
suivra l’évolution des prix. Tous les 3 ans, une négociation entre le
Gouvernement et les partenaires sociaux se tiendra.
Les
partenaires sociaux pourront faire des propositions sur l’évolution des
pensions. Les
décisions
éventuelles devront tenir compte de la santé financière des régimes de retraite
et de la croissance économique du pays ; dans la fonction publique, selon la
même périodicité, des
modalités
particulières de discussion seront mises en place
8. les
mécanismes de compensation démographique entre régimes de retraite seront
réexaminés à travers une concertation spécifique avec les partenaires sociaux.
L’objectif poursuivi par ailleurs est la suppression du dispositif de
surcompensation
9. le taux
de décote du régime général actuellement fixé à 10 % par an sera ramené à 5 %.
Cette mesure sera progressivement mise en œuvre à compter de 2004
10. les
possibilités de rachat des années de durée d’assurance, et le cas échéant
d’annuités ou de trimestres liquidables, seront ouvertes, à compter de 2004,
sans limite d’âge, avec étalement des paiements au choix des intéressés, dans
la limite de trois ans et à un prix correspondant au coût actuariellement
neutre
11. dans la
fonction publique, il est institué un régime de retraite additionnel pour les
fonctionnaires,
par répartition provisionnée et par points; ce régime prendra en compte
les primes
dans la limite de 20 % du traitement indiciaire; ce régime obligatoire sera
géré de
manière paritaire; la gestion de ce régime sera confiée à un établissement de
droit
public; la cotisation sera fixée à un taux de 5 % pour les employeurs et de 5 %
pour les
fonctionnaires concernés; le niveau pertinent de provisionnement des
engagements
du régime fera l’objet d’un examen particulier
12. le
calcul de la pension de retraite des fonctionnaires continuera de se faire par
référence
aux 6 derniers mois
annexe 2
Le contenu de l’accord de novembre 2003 en 10 points
1. La possibilité de départ à la retraite avant 60 ans prévue par la loi de réforme des retraites est retranscrite dans l’accord. Ainsi, les retraites complémentaires pourront être liquidées dès que l’on pourra liquider sa retraite à taux plein dans le régime de base. Le financement sera assuré par les excédents de l’AGFF. Ainsi 500 000 salariés d’ici 2008 pourront partir en retraite à taux plein.
2. Avant décembre 2008, une négociation définira les modalités d’intégration de l’AGFF dans l’Agirc et l’Arrco. D’ici là, le système AGFF est reconduit. Le droit à la retraite à 60 ans est donc acté définitivement dans les régimes de retraites complémentaires. Rappelons que l’AGFF (Association pour la gestion du fonds de financement, ex-ASF) a été créée en 1983 pour financer les retraites complémentaires entre 60 et 65 ans.
3. Pour bénéficier de la retraite complémentaire à 60 ans, il fallait auparavant être salarié en activité ou chômeur inscrit comme demandeur d’emploi (en plus d’avoir droit à la pension de base). Ces conditions disparaissent, même si la pension de Sécu a été liquidée avant le 1er janvier 2004.
4. La possibilité de racheter des points pour les périodes d’études supérieures dans le régime général est étendue aux régimes complémentaires : 70 points par année dans la limite de trois ans. Le prix d’achat sera actuariellement neutre.
5. Le salaire de référence qui détermine le prix d’achat du point, évoluera comme le salaire moyen.
6. La valeur du point suivra l’évolution annuelle des prix. Seul le pouvoir d’achat des retraites liquidées est maintenu jusqu’en 2008.
7. Une cotisation supplémentaire est instituée pour l’Agirc (partie du salaire au-dessus du plafond des cadres) : +0,1% sur la part patronale et +0,2% sur la part salariale. L’objectif est d’harmoniser la répartition des taux de cotisations entre employeurs et salariés à l’Agirc comme à l’Arrco (60/40).
8. La garantie minimale de points dont bénéficient les cadres, même lorsqu’ils sont rémunérés sous le plafond Sécu est maintenue.
9. Les dotations d’action sociale pour les régimes sont maintenues. Les dotations de gestion prennent en compte le nombre croissant de dossiers de liquidation dans les années à venir.
10. L’accord est conclu pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2008 avec une clause de revoyure en 2006 pour évaluer les effets des différentes mesures et faire un premier point d’étape afin de prendre éventuellement des mesures.
Jean-Louis
Malys
La position
de la CFDT sur les retraites
Pour une réforme systémique
Jean-Louis
Malys est secrétaire national de la CFDT, responsable de la politique des
retraites.
Le système
des retraites a été construit pour des profils de carrière issus des Trente
Glorieuses.
Ces schémas
de carrière étaient principalement linéaires et ascendants, avec une
prédominance
de l’emploi
masculin. Ils sont aujourd’hui de moins en moins représentatifs de la réalité.
Une réforme
globale des retraites est indispensable pour éviter le creusement des
inégalités entre ceux dont le parcours se caractérise toujours par la stabilité
et ceux qui ont connu des mobilités, le chômage et la précarité. Si rien n’est
fait, cette deuxième catégorie de salariés serait la grande perdante de la
poursuite de réformes paramétriques au fil de l’eau. Un débat national sur une
réforme systémique constitue donc aujourd’hui
une étape
incontournable.
Résumer la
question des retraites à une simple équation financière est l’attitude la plus
courante mais aussi la plus dangereuse. Elle aboutit soit à durcir
indistinctement les conditions d’accès à la retraite, donc à creuser les
inégalités, soit à revendiquer un statu quo intenable financé par une ponction
grandissante sur la richesse produite sans souci des autres dépenses
nécessaires comme l’éducation, la recherche, la santé ou la dépendance.
Au-delà de
ses enjeux collectifs, la question des retraites renvoie chacun à sa situation
: son âge, son parcours professionnel et personnel, sa situation familiale, son
patrimoine, ses aspirations, sa conception des temps de vie. L’écart entre la
vision personnelle, pour ne pas dire individuelle, et la réponse économique,
pour ne pas dire arithmétique, montre le défi que nous devons relever pour
imaginer des solutions adaptées à notre temps, à ses réelles opportunités et à
ses nombreuses contraintes.
Depuis
longtemps, avant 2010, avant même 2003 et 1995, la CFDT a choisi la voie de la
lucidité et de l’ambition tout en assumant le prix de l’inconfort. Le livre
blanc de Michel Rocard en 1991 disait déjà l’essentiel : «
Même avec
des hypothèses économiques favorables au plein emploi, les régimes de retraite
connaîtront des problèmes de financement, avec, à partir de 2005, l’arrivée
massive à l’âge de la retraite des générations nombreuses de l’après-guerre. Là
où on avait trois cotisants pour un retraité en 1970, on n’en compte plus que1,9
en 2010 et 1,7 en 2040 dans les circonstances les plus favorables, 1,3 dans le
cas contraire.»
La réforme
Balladur de 1993, en ne s’attaquant qu’aux retraites du privé et en éludant tout
débat démocratique, a été un premier acte dont le caractère complexe et
insidieusement douloureux n’a ni permis ni souhaité éclairer les vrais enjeux.
Une
orientation confédérale de longue date
En 2003, le
mouvement social et les choix portés par la CFDT, au-delà des polémiques et
incompréhensions suscitées, a porté les véritables enjeux qui n’ont cessé de
s’imposer depuis lors : le choix entre la question de l’âge de départ et la
durée de cotisation, la situation profondément injuste des carrières longues,
celle des petites retraites, en particulier des femmes, l’enjeu de la
pénibilité, et la situation des poly-pensionnés mise au grand jour par notre
organisation.
Entre ceux
qui vantaient le « courage » de la CFDT et ceux qui hurlaient à la trahison, le
temps a aujourd’hui
fait son
œuvre. Ceux qui n’ont cessé de prôner l’immobilisme ou la seule solution
financière (« les riches peuvent payer ») ont continué à avaler
quelques couleuvres : abandon un peu honteux de la revendication des 37 ans et
demi puis compromis (acceptable ?) pour la réforme des régimes spéciaux en
2008.
Le
gouvernement Fillon prétendait quant à lui avoir résolu la question de
l’équilibre des retraites par la réforme
de 2010,
tout en annonçant par avance qu’une nouvelle réforme paramétrique est d’ores et
déjà programmée en
2018, voire
avant, si la récession devait s’installer. Même si le gouvernement Ayrault
prévoit une concertation sur les retraites à partir du printemps 2013, le temps
du débat de fond sur ce thème n’est pas encore advenu et celui du consensus
apparaît bien aléatoire. Débat et consensus sont-ils nécessaires ? Sont-ils
possibles ? Nous continuons à le penser, sans pour autant imaginer qu’ils
soient aisés l’un et l’autre.
L’idée d’une
réforme des retraites de grande ampleur fait partie des orientations
confédérales depuis plus d’une
décennie
sous des appellations diverses, qu’il s’agisse d’une « refondation de la
répartition » (congrès de Lille), d’une « réforme globale des retraites »
(congrès de Nantes) ou d’une « harmonisation et consolidation de tous les
régimes de retraites par répartition » (congrès de Grenoble). La réflexion
s’est développée lors du Conseil national confédéral en mai 2008, où l’idée
d’une réforme systémique des retraites a été formulée. Elle s’est également
traduite en 2009 par la demande publique d’un « Grenelle des retraites ».
Les enjeux
politiques définis ainsi prennent en compte le triple défi de la démographie,
de l’emploi et des inégalités. Ils impliquent un débat de société pour préparer
une réforme générale du système de retraite, afin de le rendre plus juste et
pérenne financièrement, en tenant mieux compte des parcours professionnels, des
parcours de vie et des aspirations des salariés.
En 2010, les
trois débats qui se sont tenus lors du congrès confédéral de Tours sur le thème
des retraites précisent les contours d’une réforme globale et apporte
des réponses à des questions majeures.
D’une part,
la durée de cotisation est confirmée comme le paramètre le plus juste. Elle
peut être augmentée pour tenir compte de l’allongement de la vie, à condition
d’un renforcement des solidarités et des possibilités
de choix des
salariés. D’autre part, le financement du volet contributif des retraites doit
s’appuyer sur les seuls revenus du travail tandis que les solidarités ont
vocation à être financées par l’ensemble des revenus, y compris les revenus du
capital. Enfin, une réflexion doit s’engager sur les conditions d’unification,
à terme, des régimes de retraite pour répondre à des carrières de plus en plus
sinueuses.
À partir de
ces décisions, nous souhaitons faire émerger un nouveau système de retraite,
qui réponde aux
enjeux de
contributivité et de solidarité, tout en assurant la solvabilité financière à
long terme, seule capable de
rassurer les
salariés, en particulier les plus jeunes générations.
Le
rendez-vous de 2013 et la nécessaire recherche d’un
consensus
Une demande
de la CFDT
La
mobilisation de 2010 sur la réforme des retraites à laquelle la CFDT a
activement participé a permis d’obtenir
l’ouverture
en 2013 d’un débat sur une réforme globale. Il s’agissait d’une demande portée
par la CFDT. L’article 16 de la loi de 2010 prévoit ainsi l’organisation d’une
réflexion nationale sur « les objectifs et les caractéristiques d’une réforme
systémique» des retraites à partir du premier semestre 2013.
La tenue de
ce débat a été confirmée lors de la grande conférence sociale qui s’est tenue
en juillet 2012. La feuille de route qui en est issue prévoit un calendrier en
trois temps. Un état des lieux a tout d’abord été réalisé à
travers deux
rapports successifs du Conseil d’orientation des retraites parus respectivement
en décembre 2012 et
janvier
2013: l’un concernant les projections financières à moyen et long
terme, l’autre centré sur les questions de justice sociale et de lisibilité.
Cet état des lieux confirme la nécessité d’une réforme globale des retraites.
Sur la base
de ces travaux, une Commission sur l’avenir des retraites a été chargée par les
pouvoirs publics d’identifier d’ici juin 2013 différentes pistes de réforme
permettant «d’assurer l’équilibre des régimes (...) à court, moyen et long
terme» et «d’en renforcer la justice, l’équité et la lisibilité»
Une
concertation se tiendra par la suite entre l’Etat et les partenaires sociaux
sur «les évolutions souhaitables de notre système de retraite», préalablement à
la décision de mesures par les pouvoirs publics à l’horizon fin 2013 – début
2014.
Les
positions des autres organisations syndicales
Au sein des
organisations syndicales, les oppositions à une réforme systémique restent
nombreuses. La plupart d’entre elles s’opposent à l’idée d’un changement de système
de retraite car, selon elles, la question du financement ne serait pas réglée
par une telle réforme globale, qui ne permettrait pas de garantir le niveau des
pensions. Leur approche consiste implicitement à réduire la question des
retraites aux ajustements paramétriques, en négligeant les dimensions
sociétales et de redistribution et en privilégiant une approche exclusivement
financière.
Les logiques
institutionnelles autour des organismes de retraite et les enjeux de pouvoir
influent aussi sur ces
positionnements.
Les arguments utilisés sont souvent caricaturaux en affirmant contre l’évidence
que le caractère systémique d’une réforme inclurait l’abandon automatique de la
répartition ou que tout recul d’un système par annuités aboutirait à moins de
solidarité. Réduit à ces postures, le débat est clos avant d’avoir été engagé.
Nous voulons
faire ici la démonstration qu’une réforme systémique aboutit au
contraire à consolider la
répartition
en la rendant solvable à long terme, et que la remise à plat des mécanismes de
solidarité n’a d’autre but que de les rendre plus efficaces en les « fléchant »
davantage vers ceux qui en ont besoin et en évitant certaines redistributions
qui, par des mécanismes à la limite du compréhensible, aboutissent à servir
ceux qui sont déjà bien lotis.
Le
positionnement des employeurs
Les
organisations d’employeurs se déclarent souvent favorables à un système par
points voire revendiquent une
réforme
systémique. Ces positionnements sont motivés par une volonté d’individualiser
la prise en charge des
risques
sociaux, de réduire les logiques solidaires quitte à favoriser les logiques de
promotion de la capitalisation.
Les
objectifs de la CFDT ne sont évidemment pas ceux-là.
L’indispensable
débat national
La
préparation du débat national sur une réforme systémique s’avère aujourd’hui
indispensable. Sans réforme
systémique,
l’érosion des droits constitue une quasi-fatalité : pour le privé, par la
baisse du taux de remplacement, pour le public, notamment dans l’hypothèse
d’une remise en cause unilatérale de la règle des six derniers mois. La loi de
2010 portait en germes une nouvelle réforme paramétrique en 2018, voire même
avant cette date en fonction de l’état des comptes.
Or, la crise
que nous subissons accélère leur dégradation et la CFDT se félicite que la
feuille de route de la conférence sociale ait maintenu le rendez-vous de 2013.
Revenons sur les dangers inclus dans le maintien
en l’état
des différents systèmes de retraite. Empiler les mesures qui durcissent les
conditions d’accès à une
retraite
pleine aboutit immanquablement à réduire le niveau de pension de ceux qui n’ont
pas pu effectuer une
carrière
complète.
Sans réforme
systémique, l’érosion des droits constitue une quasi-fatalité.
Cela
concerne les nouvelles générations et les femmes qui, pour une part croissante,
sont des travailleurs pauvres
et
précaires. Les autres perdants sont les salariés ayant commencé leur carrière
jeunes et ceux dont le métier
pénible
devient intenable ou dont la santé a été gravement affectée par de mauvaises
conditions de travail.
De fait,
l’écart va se creuser entre ceux-là et les salariés mieux lotis qui ont la
chance d’avoir une carrière
linéaire et
complète. Nos systèmes de retraite actuels sont parfaitement adaptés aux
profils des Trente Glorieuses. Ces derniers sont construits sur un schéma de
carrière sans rupture ni mobilité. Ils récompensent les itinéraires ascendants
et les promotions fulgurantes de fin de carrière. Ils favorisent les parcours
conjugaux et les familles patriarcales stables. Il faut être aveugle pour ne
pas constater que cela ne concernera dans quelques années plus grand-monde.
Les
mécanismes actuels de solidarité existent bel et bien, ils représentent même 28
% du total des retraites
directes et
indirectes versées
. Qui en
sont les contributeurs ? Qui en sont les bénéficiaires ?
Diverses
études le démontrent : les carrières plates et longues subventionnent les
carrières dynamiques. Les
dispositifs
d’aide aux retraités parents sont très favorables aux salariés aisés et aux
hommes, pas aux femmes, ni aux familles modestes. La prise en compte des
périodes de chômage n’est que partielle et peut s’avérer dérisoire quand les
temps de précarité se multiplient. Et que dire des salariés poly-pensionnés
(bientôt un retraité sur deux), dont le sort constitue par des mécanismes
aveugles et incohérents une sorte de loterie où les perdants se consolent mal
que d’autres bénéficient d’effets d’aubaine ?
Des choix et
des arbitrages complexes à assumer
Les choix à
opérer dans le cadre d’une réforme globale pour refonder l’esprit de justice
sociale du système
de retraite
sont multiples. Ils engagent la société dans son ensemble sur le long terme, à
l’horizon 2050. Une réforme rendrait compréhensible un partage des efforts
entre générations, au sein de chaque génération, ainsi qu’en fonction des autres besoins sociaux. Ces besoins recouvrent non seulement la
problématique du vieillissement mais aussi les questions d’éducation, de
formation et d’innovation.
La CFDT, en
refusant de s’enfermer dans un discours uniquement contestataire, tente
d’élaborer des solutions
novatrices
qu’elle verse ici au débat. Nous ne souhaitons pas copier tel ou tel modèle
appliqué dans un autre pays.
La réforme
que nous voulons sera le fruit de débats et de compromis. Elle devra tenir
compte du modèle social dont nous avons hérité et qui montre encore aujourd’hui
pour l’essentiel son efficacité. Quelle est la part des richesses que notre
société doit consacrer aux diverses conséquences du vieillissement de la
population : dépenses de santé, dépendance et évidemment retraite ? Sans les réformes
passées, justes ou injustes, nous frôlerions une dépense de 20 % du PIB rien
que pour les retraites. En cette période où une croissance soutenue semble
inatteignable, au moins à moyen terme, ne faut-il pas expliciter les arbitrages
nécessaires avec les autres besoins en investissements matériels et immatériels
pour préparer l’avenir ? Les cotisations patronales et
salariales
versées pour les seules caisses de retraite représentent 25 % du salaire brut
d’un travailleur du privé.
Est-il
possible d’aller au-delà alors même que les réformes paramétriques qui se
cumulent indiquent aux générations qui payent ces cotisations que leur taux de
remplacement ne va cesser de se dégrader ? Ce déséquilibre de la solidarité
intergénérationnelle aggravé par le papy-boom est mortifère pour l’avenir de la
répartition. Qui peut éluder cette question ?
N’est-il pas
nécessaire dans cette situation de mieux comprendre les mécanismes contributifs
(comment une
cotisation
versée génère un droit imprescriptible à prestation) et ceux qui régissent les
mécanismes de solidarité
(périodes
contraintes voire volontaires d’inactivité, prestations liées à la maternité) ?
La CFDT pense qu’il faut
distinguer
les sources de financement de ces deux pans du système de retraites pour les
rendre plus lisibles.
Des pistes à
explorer
Pour
construire une réforme ambitieuse et source de confiance, nous devons nous
interroger sur les mécanismes d’acquisition des droits. Les systèmes notionnels
ou à points permettent davantage de maîtriser les
périodes
comptabilisées, les droits générés et l’origine du financement.
Hors effets
de déséquilibre démographique, les systèmes de retraite à points et notionnels,
à partir des arbitrages des générations concernées, permettent davantage
d’assurer l’équilibre financier dans une situation de croissance,et donc
d’emploi, satisfaisante.
En même
temps, le système par annuités, s’il est complexe et confus en termes de
financements comme de droits acquis, permet à partir du paramètre de durée de
cotisation de fixer des garanties de pensions qui sontaujourd’hui absentes
(hors minimum contributif du régime général). Peut-on imaginer dans un
dispositif simplifié et transparent, une combinaison associant un système
d’acquisition contributif et solidaire utilisant une logique par points ou
notionnelle avec des garanties
actionnées au moment de la liquidation de la retraite s’inspirant du système
par annuités ? Voilà une piste à explorer.
Un système
de retraite ainsi proposé doit pouvoir s’adresser d’une façon attractive à tous
les salariés, quels que soient leurs statuts, afin d’absorber les mobilités au
lieu de les sanctionner. En même temps qu’une réponse aux difficultés liées aux
situations des salariés polypensionnés, un système davantage unifié de retraite
serait
source
d’égalité. Nous savons que cette perspective peut soulever des inquiétudes
légitimes chez les fonctionnaires et les salariés bénéficiaires des régimes
spéciaux.
Mais
l’histoire récente prouve que les mécanismes d’alignement vers le bas, presque
honteux, sont à l’œuvre et qu’à refuser d’aborder ces questions franchement, on
se retrouve dans des situations défensives inconfortables et à l’efficacité
discutable.
Une telle
réforme est évidemment ambitieuse et suppose un débat large permettant
d’aboutir à une forme de
consensus. Nous
n’ignorons pas le scepticisme ambiant car l’histoire sociale de notre pays a souvent
jugé l’ampleur d’une réforme au degré d’affrontement atteint. Nous soupçonnons même qu’une forme de «
scénarisation » de ces situations soit intégrée par les acteurs les moins
enclins au dialogue social. Et si l’ampleur de la prochaine réforme des
retraites se jugeait à l’aune de notre capacité collective à affronter les
questions et à passer un compromis juste et compréhensible par le plus grand
nombre ? Dans cette perspective, il faudrait évidemment rassurer les salariés
les plus proches de la retraite en leur garantissant les avantages acquis dans
les systèmes passés. Le nouveau système de retraite s’appliquerait
progressivement aux générations plus éloignées de leur retraite. Plusieurs
hypothèses de mise en œuvre « en sifflet » ou de comptabilisation en parallèle
des droits acquis à l’un ou l’autre de ces systèmes sont possibles.
Cet aspect
de la transition serait au cœur de la négociation pour offrir un système rénové
aux jeunes générations sans sanctionner ou désespérer les plus anciens. De la
même façon, l’architecture du futur système de
retraite ainsi
progressivement mise en place exclut dans un délai assez long un chambardement
des diverses institutions qui collectent les cotisations, calculent les droits
et versent les retraites. La perspective d’une unification progressive
encouragerait évidemment les synergies et regroupements utiles en toute
transparence, mais sans traumatisme.
Depuis le
début de l’année 2011, la CFDT a organisé en interne plus de trente débats qui
ont réuni près de 1500 militants autour de ce thème. La réflexion a été menée
conjointement avec d’autres acteurs de la société : chercheurs,
associations, intellectuels, représentants syndicaux.
Réformer le
système de retraite est un enjeu majeur pour maintenir une protection sociale
de haut niveau fondée sur la solidarité. Il est de notre responsabilité
d’éclairer ce débat et de tracer des perspectives, afin que tous les
choix
collectifs soient posés et que toutes les générations puissent légitimement
garder confiance dans la réparti
tion.
Cet article est une version
actualisée de l’article
de Jean-Louis Malys, paru dans la
Revue de la CFDT
(numéro 107, 2012).
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