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samedi 15 juin 2013

Synthèse des positions de la CFDT sur les retraites en France


 

Cette note reprend, sans aller dans le détail, les principales prises de position de la CFDT en matière de réformes successives des régimes de retraites en France entre 2003 (première réforme FILLON) et 2013, en distinguant les régimes de base et les régimes complémentaires de salariés.

Par ailleurs la CFDT préconise depuis plusieurs années une réforme systémique des retraites, par opposition à une réforme paramétrique. Les éléments majeurs de ce projet ambitieux sont repris en deuxième partie de ce document.

 

PARTIE 1 : la CFDT et les réformes des retraites depuis 2003

A-    Les régimes de base

La CFDT a émis un avis favorable au relevé de décisions de la réforme des retraites en  mai 2003 (le détail des décisions est en annexe 1). Il s’agit d’une réforme importante car globale (elle concerne le privé et le public les salariés et non salariés) qui introduit le principe d’un ajustement automatique des paramètres de calcul des retraites en fonction de l’espérance de vie. La réforme introduit un pilotage du système avec des rendez-vous tous les cinq ans et elle a créé des mesures pour une meilleure information des cotisants (droit à l’information retraite). La réforme a également ouvert le droit à un départ anticipé (avant 60ans) pour les longues carrières. La CFDT a fortement soutenu cette disposition.

Pour la réforme initiée en 2008 la CFDT a marqué des désaccords majeurs sur deux points :

-        Le gouvernement confirme le passage à 41 annuités au 1er janvier 2012, sans tenir compte du taux d’emploi des seniors. Pour la CFDT, cette décision sera injuste vis-à-vis des salariés exclus de l’emploi précocement, et en même temps inefficace sur l’équilibre financier des régimes de retraite.

-        Le gouvernement ne propose rien pour revaloriser les retraites en faisant remonter leur niveau par rapport au salaire, afin de mettre un coup d’arrêt à une dégradation continue.

La CFDT a déploré de nombreux « oublis » par un gouvernement qui a fait l’impasse sur :
-- la situation des polypensionnés pénalisés dans le calcul de leur retraite,
-- le sort des salariés aux carrières accidentées,
-- le financement nécessaire du Fonds de réserve des retraites,
-- l’amélioration du régime additionnel de la Fonction publique.

La CFDT a précisément interpellé le gouvernement sur la question des pénibilités. Le ministre des Affaires Sociales lui a répondu que, faute d’accord entre partenaires sociaux, il interviendrait en demandant aux entreprises de prendre en charge une partie du financement d’un dispositif destiné aux salariés exposés à la pénibilité.

La CFDT a néanmoins relevé des avancées : elle est satisfaite de la reconduction du dispositif des « carrières longues » qu’elle avait obtenu en 2003, ainsi que de l’amélioration de la surcote (taux à 5 %) et de son élargissement (carrières longues et minimum contributif).

De même, l’amélioration du financement des régimes par le transfert, à terme, d’une part de la cotisation chômage est une bonne chose.

Deux journées d’action intersyndicales ont eu lieu le 22 mai puis le 17 juin 2008. La mobilisation obtenue et les sondages d’opinion ont amené le gouvernement à maintenir sa volonté d’allonger la durée de cotisation pour tous.

 

La CFDT reste cohérente avec les positions adoptées à son congrès confédéral de Tours : dénonciation de la réforme proposée par le gouvernement, actions et propositions sur les inégalités générées par notre système de retraite et amplifiées par le projet de loi, proposition d’une réforme alternative.

Pour ce qui concerne la nouvelle réforme initiée par le Gouvernement FILLON en 2010, la CFDT a pris des positions nuancées selon les principales dispositions proposées :

-        Débat de société sur une réforme des retraites plutôt que mise en place d’un comité de pilotage des régimes de retraites

-        Accord sur le développement du droit à l’information retraite (entretien de bilan carrière à 45 ans)

-        Désaccord sur le recul de l’âge légal de départ porté à 62 ans pour les générations 1951 à 1956, entre le 1er juillet 2011 et le 1er janvier 2016. L’âge du taux plein est augmenté en parallèle de l’âge légal, avec un passage de 65 ans à 67 ans et une date d’effet comprise entre 2016 et 2021.

Pour la CFDT, le recul de l’âge légal de départ est une mesure injuste, inefficace à terme, et limite les possibilités de choix individuels des salariés.

Caractère trop limité des mesures en faveur d’un départ anticipé pour pénibilité du travail

 

B-     Les régimes complémentaires

La réforme de 2003 dans les régimes complémentaires, soutien de la CFDT

Le coût de la retraite avant 60 ans est évalué à 7 milliards d’euros cumulés sur cinq ans pour le régime général et à 4,2 milliards d’euros pour les régimes Arrco et Agirc. Ce qui donne 11,2 milliards d’euros pour l’ensemble et sur cinq ans.

L’accord de novembre 2003 figure en annexe 2.

 

 

Accord de la CFDT lors des négociations de mars 2009

Le patronat avait pour objectif de prendre des mesures conduisant au décalage progressif de l’âge de départ en retraite, ceci indépendamment de la réglementation des autres régimes de retraites et notamment du régime général.

Cette proposition a été d’emblée et sans ambiguïté rejetée par la CFDT pour plusieurs raisons :
- Ce n’est pas aux régimes complémentaires de définir les conditions d’accès à la retraite en matière de durée de cotisation ou d’âge de départ. Une action sur ces paramètres ne peut donc être décidée que par les pouvoirs publics à l’occasion d’une réforme de l’ensemble des régimes.
- La CFDT a fait le choix, lors de ses congrès, de prioriser le paramètre de la durée de cotisation pour répondre aux conséquences de l’évolution démographique sur les régimes de retraites plutôt que celui de décaler l’âge de départ. La CFDT considère cette solution plus équitable que la seconde qui pénalise ceux qui ont des carrières longues.

La CFDT est intervenue pour expliquer que, dans la situation actuelle, la meilleure solution serait de prolonger l’accord actuel de deux ans, en préconisant d’user très prudemment des réserves pour passer la période difficile actuelle et se donner le temps de mener une réflexion en profondeur sur les différents paramètres.

 Analyse CFDT de l’accord


On ne peut pas qualifier ce projet d’accord de très ambitieux, notamment au regard des problèmes qui sont posés aux régimes. Mais la conjoncture actuelle et les incertitudes sur l’ampleur et la durée de la crise imposent une certaine prudence.

Le délai que donne ce projet d’accord permet de préparer l’avenir et donc les mesures qu’il faudra prendre, tout en sécurisant les retraites des salariés qui vont liquider leur pension dans les prochains mois avec la prolongation de l’AGFF. La CFDT a donc une appréciation où le positif l’emporte tout en étant consciente des limites de ce projet d’accord.

Certaines organisations syndicales étaient prêtes à prendre le risque d’une rupture de l’AGFF en disant que les pouvoirs publics prendraient alors le relais... Cette attitude était dangereuse car, si effectivement le gouvernement aurait suppléé à la carence des partenaires sociaux, les risques étaient multiples :

-        - une période de vide juridique avec de possibles ruptures sur la continuité des prestations et/ou des cotisations,

-        - une porte ouverte à une récupération des régimes de retraites complémentaires (et de ses réserves) par les pouvoirs publics,

-        - un risque d’accentuer le doute des salariés sur les capacités des organisations syndicales de construire du droit.

 

La réforme de 2013 soutenue par la CFDT

Le bureau national de la CFDT a décidé à l’unanimité de la signature du projet d’accord sur les régimes de retraite complémentaire. La CFDT a considéré qu’il s’agit d’un accord nécessaire qui donne une bouffée d’oxygène à ces régimes de retraite. Il consolidera financièrement l’Arrco et l’Agirc, très malmenés par la crise économique. La question de leur financement à moyen terme n’est cependant pas totalement réglée, en particulier pour l’Agirc.

Le projet d’accord partage les efforts entre les actifs, les retraités et les entreprises. Il prévoit une revalorisation des pensions inférieure à l’inflation pendant une durée de trois ans, ainsi qu’une augmentation du taux de cotisation de 0,2%.

Au cours de la négociation, la CFDT a pesé pour que le texte allie davantage les exigences de responsabilité et de solidarité, afin d’obtenir une meilleure protection des basses pensions. La CFDT s’est félicitée de la revalorisation des pensions en fonction de l’inflation au régime général, qui constitue l’essentiel de la retraite pour les plus modestes.

Le texte maintient les acquis de l’accord de 2011, en particulier la stabilité du rendement pour les actifs jusqu’en 2015 et le maintien jusqu’en 2018 des possibilités de départ sans décote avant 65 ans.

Enfin l’accord inscrit les régimes complémentaires dans la perspective d’une réforme plus large du système de retraite. Les évolutions en profondeur de nos régimes feront partie des thèmes majeurs de la prochaine concertation sur les retraites.

Source : Communiqué de presse de la CFDT du 21 mars 2013.

 

Plus généralement la CFDT a observé que les modifications successives des principaux paramètres des régimes de retraite jettent un doute sur l’avenir du système. Dans le cadre de la concertation sur les retraites annoncée par le gouvernement, la CFDT considère qu’une remise à plat de l’ensemble de notre système de retraite et une réforme de grande ampleur sont nécessaires, afin de restaurer la confiance en la répartition, notamment auprès des plus jeunes générations.

 

 

PARTIE 2 : la CFDT pour une réforme systémique des régimes de retraite en France

En juin 2010 le Congrès de la CFDT à Tours a débouché sur une résolution adoptée à 77 % qui évoquait un régime de retraite unifié et solidaire.

La revue de la CFDT a consacré en 2013 un numéro spécial à une réforme systémique des retraites. Est repris en annexe 2 l’intégralité de l’article consacré par J.L. MALYS à cette réforme.

L’éditorial de ce numéro spécial de la revue de la CFDT précisait notamment que :

« Le système de retraites représente un enjeu pour notre société car il est un élément fondamental de notre pacte social. Construit autour du modèle des carrières linéaires des Trente Glorieuses, il s’avère de plus en plus inadapté aux parcours professionnels, aux parcours de vie et aux aspirations des salariés d’aujourd’hui.

Les évolutions du modèle actuel sont parfois même devenues un facteur de creusement des inégalités. Il importe donc d’envisager une réforme systémique. L’ouverture d’un débat public, à compter du premier semestre 2013, sur une réforme plus globale constitue une forme d’aveu: la loi votée en 2010

n’apporte pas de réponse pour garantir le système de retraite sur le long terme. Ce débat, que la CFDT a voulu et obtenu par la mobilisation, permettra de reprendre le travail de reconstruction amorcé par la loi de 2003. »


Annexe 1

1 il est confirmé que le champ d’application de cette réforme concerne les salariés du secteur privé, les fonctionnaires, les travailleurs indépendants du commerce, de l’artisanat, de l’agriculture et des professions libérales

2 en 2008, aucune retraite nette d’un salarié ayant une carrière complète ne sera inférieure à 85 % du SMIC net. Pour garantir cet objectif, le minimum contributif sera revalorisé, pour 40 années cotisées sur la base suivante

janvier 2004 : 3 %

janvier 2006 : 3 %

janvier 2008 : 3 %

Cet objectif sera réexaminé dans cinq ans, en tenant compte des perspectives financières des

régimes d’assurance vieillesse

 

3 pour les salariés et les non salariés des régimes alignés qui ont commencé à travailler très

jeunes (entre 14 et 16 ans), un droit au départ anticipé à la retraite sera ouvert à compter du 1

er  janvier 2004

 

Ce dispositif sera revu en 2008

 

Afin de cerner le problème dans les fonctions publiques, un groupe de travail sur le même thème sera mis en place.

 

4. à compter du 1er janvier 2006, la cotisation vieillesse du régime général est majorée de 0,2

point ;

 

5. le financement de la réforme des retraites doit être progressif, équitable et faire appel à des efforts partagés. Il doit être réexaminé notamment à l’occasion des rendez- vous quinquennaux. A l’occasion du premier rendez vous de 2008, seront réexaminés tous les paramètres de financement , dont notamment les prélèvements obligatoires pouvant être affectés au financement (cotisation, CSG, ...)

 

6. les partenaires sociaux seront incités par la loi à conclure d’ici trois ans une négociation sur la définition et la prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique, le Gouvernement

engagera un réexamen de la situation des emplois correspondant à des métiers pénibles

 

7. l’évolution des pensions de retraite du secteur privé et du secteur public suivra l’évolution des prix. Tous les 3 ans, une négociation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux se tiendra.

Les partenaires sociaux pourront faire des propositions sur l’évolution des pensions. Les

décisions éventuelles devront tenir compte de la santé financière des régimes de retraite et de la croissance économique du pays ; dans la fonction publique, selon la même périodicité, des

modalités particulières de discussion seront mises en place

 

8. les mécanismes de compensation démographique entre régimes de retraite seront réexaminés à travers une concertation spécifique avec les partenaires sociaux. L’objectif poursuivi par ailleurs est la suppression du dispositif de surcompensation

 

9. le taux de décote du régime général actuellement fixé à 10 % par an sera ramené à 5 %. Cette mesure sera progressivement mise en œuvre à compter de 2004

 

10. les possibilités de rachat des années de durée d’assurance, et le cas échéant d’annuités ou de trimestres liquidables, seront ouvertes, à compter de 2004, sans limite d’âge, avec étalement des paiements au choix des intéressés, dans la limite de trois ans et à un prix correspondant au coût actuariellement neutre

 

11. dans la fonction publique, il est institué un régime de retraite additionnel pour les

fonctionnaires, par répartition provisionnée et par points; ce régime prendra en compte

les primes dans la limite de 20 % du traitement indiciaire; ce régime obligatoire sera

géré de manière paritaire; la gestion de ce régime sera confiée à un établissement de

droit public; la cotisation sera fixée à un taux de 5 % pour les employeurs et de 5 %

pour les fonctionnaires concernés; le niveau pertinent de provisionnement des

engagements du régime fera l’objet d’un examen particulier

 

12. le calcul de la pension de retraite des fonctionnaires continuera de se faire par

référence aux 6 derniers mois

 

 


 

annexe 2

Le contenu de l’accord de novembre 2003 en 10 points


1. La possibilité de départ à la retraite avant 60 ans prévue par la loi de réforme des retraites est retranscrite dans l’accord. Ainsi, les retraites complémentaires pourront être liquidées dès que l’on pourra liquider sa retraite à taux plein dans le régime de base. Le financement sera assuré par les excédents de l’AGFF. Ainsi 500 000 salariés d’ici 2008 pourront partir en retraite à taux plein.

2. Avant décembre 2008, une négociation définira les modalités d’intégration de l’AGFF dans l’Agirc et l’Arrco. D’ici là, le système AGFF est reconduit. Le droit à la retraite à 60 ans est donc acté définitivement dans les régimes de retraites complémentaires. Rappelons que l’AGFF (Association pour la gestion du fonds de financement, ex-ASF) a été créée en 1983 pour financer les retraites complémentaires entre 60 et 65 ans.

3. Pour bénéficier de la retraite complémentaire à 60 ans, il fallait auparavant être salarié en activité ou chômeur inscrit comme demandeur d’emploi (en plus d’avoir droit à la pension de base). Ces conditions disparaissent, même si la pension de Sécu a été liquidée avant le 1er janvier 2004.

4. La possibilité de racheter des points pour les périodes d’études supérieures dans le régime général est étendue aux régimes complémentaires : 70 points par année dans la limite de trois ans. Le prix d’achat sera actuariellement neutre.

5. Le salaire de référence qui détermine le prix d’achat du point, évoluera comme le salaire moyen.

6. La valeur du point suivra l’évolution annuelle des prix. Seul le pouvoir d’achat des retraites liquidées est maintenu jusqu’en 2008.

7. Une cotisation supplémentaire est instituée pour l’Agirc (partie du salaire au-dessus du plafond des cadres) : +0,1% sur la part patronale et +0,2% sur la part salariale. L’objectif est d’harmoniser la répartition des taux de cotisations entre employeurs et salariés à l’Agirc comme à l’Arrco (60/40).

8. La garantie minimale de points dont bénéficient les cadres, même lorsqu’ils sont rémunérés sous le plafond Sécu est maintenue.

9. Les dotations d’action sociale pour les régimes sont maintenues. Les dotations de gestion prennent en compte le nombre croissant de dossiers de liquidation dans les années à venir.

10. L’accord est conclu pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2008 avec une clause de revoyure en 2006 pour évaluer les effets des différentes mesures et faire un premier point d’étape afin de prendre éventuellement des mesures.


 

annexe 3

 

Jean-Louis Malys

La position de la CFDT sur les retraites

Pour une réforme systémique

 

Jean-Louis Malys est secrétaire national de la CFDT, responsable de la politique des retraites.

 

 

Le système des retraites a été construit pour des profils de carrière issus des Trente Glorieuses.

Ces schémas de carrière étaient principalement linéaires et ascendants, avec une prédominance

de l’emploi masculin. Ils sont aujourd’hui de moins en moins représentatifs de la réalité.

 

Une réforme globale des retraites est indispensable pour éviter le creusement des inégalités entre ceux dont le parcours se caractérise toujours par la stabilité et ceux qui ont connu des mobilités, le chômage et la précarité. Si rien n’est fait, cette deuxième catégorie de salariés serait la grande perdante de la poursuite de réformes paramétriques au fil de l’eau. Un débat national sur une réforme systémique constitue donc aujourd’hui

une étape incontournable.

 

Résumer la question des retraites à une simple équation financière est l’attitude la plus courante mais aussi la plus dangereuse. Elle aboutit soit à durcir indistinctement les conditions d’accès à la retraite, donc à creuser les inégalités, soit à revendiquer un statu quo intenable financé par une ponction grandissante sur la richesse produite sans souci des autres dépenses nécessaires comme l’éducation, la recherche, la santé ou la dépendance.

Au-delà de ses enjeux collectifs, la question des retraites renvoie chacun à sa situation : son âge, son parcours professionnel et personnel, sa situation familiale, son patrimoine, ses aspirations, sa conception des temps de vie. L’écart entre la vision personnelle, pour ne pas dire individuelle, et la réponse économique, pour ne pas dire arithmétique, montre le défi que nous devons relever pour imaginer des solutions adaptées à notre temps, à ses réelles opportunités et à ses nombreuses contraintes.

 

Depuis longtemps, avant 2010, avant même 2003 et 1995, la CFDT a choisi la voie de la lucidité et de l’ambition tout en assumant le prix de l’inconfort. Le livre blanc de Michel Rocard en 1991 disait déjà l’essentiel : «

Même avec des hypothèses économiques favorables au plein emploi, les régimes de retraite connaîtront des problèmes de financement, avec, à partir de 2005, l’arrivée massive à l’âge de la retraite des générations nombreuses de l’après-guerre. Là où on avait trois cotisants pour un retraité en 1970, on n’en compte plus que1,9 en 2010 et 1,7 en 2040 dans les circonstances les plus favorables, 1,3 dans le cas contraire.»

 

La réforme Balladur de 1993, en ne s’attaquant qu’aux retraites du privé et en éludant tout débat démocratique, a été un premier acte dont le caractère complexe et insidieusement douloureux n’a ni permis ni souhaité éclairer les vrais enjeux.

 

Une orientation confédérale de longue date

En 2003, le mouvement social et les choix portés par la CFDT, au-delà des polémiques et incompréhensions suscitées, a porté les véritables enjeux qui n’ont cessé de s’imposer depuis lors : le choix entre la question de l’âge de départ et la durée de cotisation, la situation profondément injuste des carrières longues, celle des petites retraites, en particulier des femmes, l’enjeu de la pénibilité, et la situation des poly-pensionnés mise au grand jour par notre organisation.

Entre ceux qui vantaient le « courage » de la CFDT et ceux qui hurlaient à la trahison, le temps a aujourd’hui

fait son œuvre. Ceux qui n’ont cessé de prôner l’immobilisme ou la seule solution financière (« les riches peuvent payer ») ont continué à avaler quelques couleuvres : abandon un peu honteux de la revendication des 37 ans et demi puis compromis (acceptable ?) pour la réforme des régimes spéciaux en 2008.

Le gouvernement Fillon prétendait quant à lui avoir résolu la question de l’équilibre des retraites par la réforme

de 2010, tout en annonçant par avance qu’une nouvelle réforme paramétrique est d’ores et déjà programmée en

2018, voire avant, si la récession devait s’installer. Même si le gouvernement Ayrault prévoit une concertation sur les retraites à partir du printemps 2013, le temps du débat de fond sur ce thème n’est pas encore advenu et celui du consensus apparaît bien aléatoire. Débat et consensus sont-ils nécessaires ? Sont-ils possibles ? Nous continuons à le penser, sans pour autant imaginer qu’ils soient aisés l’un et l’autre.

L’idée d’une réforme des retraites de grande ampleur fait partie des orientations confédérales depuis plus d’une

décennie sous des appellations diverses, qu’il s’agisse d’une « refondation de la répartition » (congrès de Lille), d’une « réforme globale des retraites » (congrès de Nantes) ou d’une « harmonisation et consolidation de tous les régimes de retraites par répartition » (congrès de Grenoble). La réflexion s’est développée lors du Conseil national confédéral en mai 2008, où l’idée d’une réforme systémique des retraites a été formulée. Elle s’est également traduite en 2009 par la demande publique d’un « Grenelle des retraites ».

Les enjeux politiques définis ainsi prennent en compte le triple défi de la démographie, de l’emploi et des inégalités. Ils impliquent un débat de société pour préparer une réforme générale du système de retraite, afin de le rendre plus juste et pérenne financièrement, en tenant mieux compte des parcours professionnels, des parcours de vie et des aspirations des salariés.

 

En 2010, les trois débats qui se sont tenus lors du congrès confédéral de Tours sur le thème des retraites précisent les contours d’une réforme globale et apporte des réponses à des questions majeures.

D’une part, la durée de cotisation est confirmée comme le paramètre le plus juste. Elle peut être augmentée pour tenir compte de l’allongement de la vie, à condition d’un renforcement des solidarités et des possibilités

de choix des salariés. D’autre part, le financement du volet contributif des retraites doit s’appuyer sur les seuls revenus du travail tandis que les solidarités ont vocation à être financées par l’ensemble des revenus, y compris les revenus du capital. Enfin, une réflexion doit s’engager sur les conditions d’unification, à terme, des régimes de retraite pour répondre à des carrières de plus en plus sinueuses.

À partir de ces décisions, nous souhaitons faire émerger un nouveau système de retraite, qui réponde aux

enjeux de contributivité et de solidarité, tout en assurant la solvabilité financière à long terme, seule capable de

rassurer les salariés, en particulier les plus jeunes générations.

 

Le rendez-vous de 2013 et la nécessaire recherche d’un

consensus

Une demande de la CFDT

La mobilisation de 2010 sur la réforme des retraites à laquelle la CFDT a activement participé a permis d’obtenir

l’ouverture en 2013 d’un débat sur une réforme globale. Il s’agissait d’une demande portée par la CFDT. L’article 16 de la loi de 2010 prévoit ainsi l’organisation d’une réflexion nationale sur « les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique» des retraites à partir du premier semestre 2013.

La tenue de ce débat a été confirmée lors de la grande conférence sociale qui s’est tenue en juillet 2012. La feuille de route qui en est issue prévoit un calendrier en trois temps. Un état des lieux a tout d’abord été réalisé à

travers deux rapports successifs du Conseil d’orientation des retraites parus respectivement en décembre 2012 et

janvier 2013: l’un concernant les projections financières à moyen et long terme, l’autre centré sur les questions de justice sociale et de lisibilité. Cet état des lieux confirme la nécessité d’une réforme globale des retraites.

Sur la base de ces travaux, une Commission sur l’avenir des retraites a été chargée par les pouvoirs publics d’identifier d’ici juin 2013 différentes pistes de réforme permettant «d’assurer l’équilibre des régimes (...) à court, moyen et long terme» et «d’en renforcer la justice, l’équité et la lisibilité»

Une concertation se tiendra par la suite entre l’Etat et les partenaires sociaux sur «les évolutions souhaitables de notre système de retraite», préalablement à la décision de mesures par les pouvoirs publics à l’horizon fin 2013 – début 2014.

Les positions des autres organisations syndicales

Au sein des organisations syndicales, les oppositions à une réforme systémique restent nombreuses. La plupart d’entre elles s’opposent à l’idée d’un changement de système de retraite car, selon elles, la question du financement ne serait pas réglée par une telle réforme globale, qui ne permettrait pas de garantir le niveau des pensions. Leur approche consiste implicitement à réduire la question des retraites aux ajustements paramétriques, en négligeant les dimensions sociétales et de redistribution et en privilégiant une approche exclusivement financière.

Les logiques institutionnelles autour des organismes de retraite et les enjeux de pouvoir influent aussi sur ces

positionnements. Les arguments utilisés sont souvent caricaturaux en affirmant contre l’évidence que le caractère systémique d’une réforme inclurait l’abandon automatique de la répartition ou que tout recul d’un système par annuités aboutirait à moins de solidarité. Réduit à ces postures, le débat est clos avant d’avoir été engagé.

Nous voulons faire ici la démonstration qu’une réforme systémique aboutit au contraire à consolider la

répartition en la rendant solvable à long terme, et que la remise à plat des mécanismes de solidarité n’a d’autre but que de les rendre plus efficaces en les « fléchant » davantage vers ceux qui en ont besoin et en évitant certaines redistributions qui, par des mécanismes à la limite du compréhensible, aboutissent à servir ceux qui sont déjà bien lotis.

Le positionnement des employeurs

Les organisations d’employeurs se déclarent souvent favorables à un système par points voire revendiquent une

réforme systémique. Ces positionnements sont motivés par une volonté d’individualiser la prise en charge des

risques sociaux, de réduire les logiques solidaires quitte à favoriser les logiques de promotion de la capitalisation.

Les objectifs de la CFDT ne sont évidemment pas ceux-là.

L’indispensable débat national

La préparation du débat national sur une réforme systémique s’avère aujourd’hui indispensable. Sans réforme

systémique, l’érosion des droits constitue une quasi-fatalité : pour le privé, par la baisse du taux de remplacement, pour le public, notamment dans l’hypothèse d’une remise en cause unilatérale de la règle des six derniers mois. La loi de 2010 portait en germes une nouvelle réforme paramétrique en 2018, voire même avant cette date en fonction de l’état des comptes.

Or, la crise que nous subissons accélère leur dégradation et la CFDT se félicite que la feuille de route de la conférence sociale ait maintenu le rendez-vous de 2013. Revenons sur les dangers inclus dans le maintien

en l’état des différents systèmes de retraite. Empiler les mesures qui durcissent les conditions d’accès à une

retraite pleine aboutit immanquablement à réduire le niveau de pension de ceux qui n’ont pas pu effectuer une

carrière complète.

Sans réforme systémique, l’érosion des droits constitue une quasi-fatalité.

Cela concerne les nouvelles générations et les femmes qui, pour une part croissante, sont des travailleurs pauvres

et précaires. Les autres perdants sont les salariés ayant commencé leur carrière jeunes et ceux dont le métier

pénible devient intenable ou dont la santé a été gravement affectée par de mauvaises conditions de travail.

De fait, l’écart va se creuser entre ceux-là et les salariés mieux lotis qui ont la chance d’avoir une carrière

linéaire et complète. Nos systèmes de retraite actuels sont parfaitement adaptés aux profils des Trente Glorieuses. Ces derniers sont construits sur un schéma de carrière sans rupture ni mobilité. Ils récompensent les itinéraires ascendants et les promotions fulgurantes de fin de carrière. Ils favorisent les parcours conjugaux et les familles patriarcales stables. Il faut être aveugle pour ne pas constater que cela ne concernera dans quelques années plus grand-monde.

Les mécanismes actuels de solidarité existent bel et bien, ils représentent même 28 % du total des retraites

directes et indirectes versées

 

. Qui en sont les contributeurs ? Qui en sont les bénéficiaires ?

Diverses études le démontrent : les carrières plates et longues subventionnent les carrières dynamiques. Les

dispositifs d’aide aux retraités parents sont très favorables aux salariés aisés et aux hommes, pas aux femmes, ni aux familles modestes. La prise en compte des périodes de chômage n’est que partielle et peut s’avérer dérisoire quand les temps de précarité se multiplient. Et que dire des salariés poly-pensionnés (bientôt un retraité sur deux), dont le sort constitue par des mécanismes aveugles et incohérents une sorte de loterie où les perdants se consolent mal que d’autres bénéficient d’effets d’aubaine ?

 

Des choix et des arbitrages complexes à assumer

Les choix à opérer dans le cadre d’une réforme globale pour refonder l’esprit de justice sociale du système

de retraite sont multiples. Ils engagent la société dans son ensemble sur le long terme, à l’horizon 2050. Une réforme rendrait compréhensible un partage des efforts entre générations, au sein de chaque génération, ainsi qu’en fonction des autres besoins sociaux. Ces besoins recouvrent non seulement la problématique du vieillissement mais aussi les questions d’éducation, de formation et d’innovation.

La CFDT, en refusant de s’enfermer dans un discours uniquement contestataire, tente d’élaborer des solutions

novatrices qu’elle verse ici au débat. Nous ne souhaitons pas copier tel ou tel modèle appliqué dans un autre pays.

La réforme que nous voulons sera le fruit de débats et de compromis. Elle devra tenir compte du modèle social dont nous avons hérité et qui montre encore aujourd’hui pour l’essentiel son efficacité. Quelle est la part des richesses que notre société doit consacrer aux diverses conséquences du vieillissement de la population : dépenses de santé, dépendance et évidemment retraite ? Sans les réformes passées, justes ou injustes, nous frôlerions une dépense de 20 % du PIB rien que pour les retraites. En cette période où une croissance soutenue semble inatteignable, au moins à moyen terme, ne faut-il pas expliciter les arbitrages nécessaires avec les autres besoins en investissements matériels et immatériels pour préparer l’avenir ? Les cotisations patronales et

salariales versées pour les seules caisses de retraite représentent 25 % du salaire brut d’un travailleur du privé.

Est-il possible d’aller au-delà alors même que les réformes paramétriques qui se cumulent indiquent aux générations qui payent ces cotisations que leur taux de remplacement ne va cesser de se dégrader ? Ce déséquilibre de la solidarité intergénérationnelle aggravé par le papy-boom est mortifère pour l’avenir de la répartition. Qui peut éluder cette question ?

N’est-il pas nécessaire dans cette situation de mieux comprendre les mécanismes contributifs (comment une

cotisation versée génère un droit imprescriptible à prestation) et ceux qui régissent les mécanismes de solidarité

(périodes contraintes voire volontaires d’inactivité, prestations liées à la maternité) ? La CFDT pense qu’il faut

distinguer les sources de financement de ces deux pans du système de retraites pour les rendre plus lisibles.

 

Des pistes à explorer

Pour construire une réforme ambitieuse et source de confiance, nous devons nous interroger sur les mécanismes d’acquisition des droits. Les systèmes notionnels ou à points permettent davantage de maîtriser les

périodes comptabilisées, les droits générés et l’origine du financement.

Hors effets de déséquilibre démographique, les systèmes de retraite à points et notionnels, à partir des arbitrages des générations concernées, permettent davantage d’assurer l’équilibre financier dans une situation de croissance,et donc d’emploi, satisfaisante.

En même temps, le système par annuités, s’il est complexe et confus en termes de financements comme de droits acquis, permet à partir du paramètre de durée de cotisation de fixer des garanties de pensions qui sontaujourd’hui absentes (hors minimum contributif du régime général). Peut-on imaginer dans un dispositif simplifié et transparent, une combinaison associant un système d’acquisition contributif et solidaire utilisant une logique par points ou notionnelle  avec des garanties actionnées au moment de la liquidation de la retraite s’inspirant du système par annuités ? Voilà une piste à explorer.

Un système de retraite ainsi proposé doit pouvoir s’adresser d’une façon attractive à tous les salariés, quels que soient leurs statuts, afin d’absorber les mobilités au lieu de les sanctionner. En même temps qu’une réponse aux difficultés liées aux situations des salariés polypensionnés, un système davantage unifié de retraite serait

source d’égalité. Nous savons que cette perspective peut soulever des inquiétudes légitimes chez les fonctionnaires et les salariés bénéficiaires des régimes spéciaux.

Mais l’histoire récente prouve que les mécanismes d’alignement vers le bas, presque honteux, sont à l’œuvre et qu’à refuser d’aborder ces questions franchement, on se retrouve dans des situations défensives inconfortables et à l’efficacité discutable.

Une telle réforme est évidemment ambitieuse et suppose un débat large permettant d’aboutir à une forme de

consensus. Nous n’ignorons pas le scepticisme ambiant car  l’histoire sociale de notre pays a souvent jugé l’ampleur d’une réforme au degré d’affrontement atteint.  Nous soupçonnons même qu’une forme de « scénarisation » de ces situations soit intégrée par les acteurs les moins enclins au dialogue social. Et si l’ampleur de la prochaine réforme des retraites se jugeait à l’aune de notre capacité collective à affronter les questions et à passer un compromis juste et compréhensible par le plus grand nombre ? Dans cette perspective, il faudrait évidemment rassurer les salariés les plus proches de la retraite en leur garantissant les avantages acquis dans les systèmes passés. Le nouveau système de retraite s’appliquerait progressivement aux générations plus éloignées de leur retraite. Plusieurs hypothèses de mise en œuvre « en sifflet » ou de comptabilisation en parallèle des droits acquis à l’un ou l’autre de ces systèmes sont possibles.

Cet aspect de la transition serait au cœur de la négociation pour offrir un système rénové aux jeunes générations sans sanctionner ou désespérer les plus anciens. De la même façon, l’architecture du futur système de

retraite ainsi progressivement mise en place exclut dans un délai assez long un chambardement des diverses institutions qui collectent les cotisations, calculent les droits et versent les retraites. La perspective d’une unification progressive encouragerait évidemment les synergies et regroupements utiles en toute transparence, mais sans traumatisme.

Depuis le début de l’année 2011, la CFDT a organisé en interne plus de trente débats qui ont réuni près de 1500 militants autour de ce thème. La réflexion a été menée conjointement avec d’autres acteurs de la société : chercheurs, associations, intellectuels, représentants syndicaux.

Réformer le système de retraite est un enjeu majeur pour maintenir une protection sociale de haut niveau fondée sur la solidarité. Il est de notre responsabilité d’éclairer ce débat et de tracer des perspectives, afin que tous les

choix collectifs soient posés et que toutes les générations puissent légitimement garder confiance dans la réparti

tion.

 

Cet article est une version actualisée de l’article

de Jean-Louis Malys, paru dans la Revue de la CFDT

(numéro 107, 2012).

 

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